Année C: samedi de la 16e semaine ordinaire (litco16s.16)
Matthieu 13, 24-30 : Quoi regarder ?
Et si Jésus avait perçu Marie-Madeleine comme de l'ivraie dans sa route, elle ne serait jamais devenue l'apôtre des apôtres. Si Dieu avait refusé d'entendre la prière d'Abraham, dont nous ferons mémoire demain dans la première lecture, de ne pas détruire la ville de Sodome, même s'il ne restait que dix justes, que serait devenue sa descendance ?
Notre première réaction devant les scènes toujours de plus en plus insoutenables de nos journaux est de désirer que justice soit faite. Que ses artisans soient condamnés. Nos yeux ne voient que des scènes bien réelles de désolation. Abraham, au milieu de tant de désolation que vivait le peuple de Sodome, a vu aussi l'existence de justes. Malheureusement, dans son marchandage avec Dieu, Abraham n'est pas allé assez loin. Il s'est arrêté à dix justes. Jésus, près du puits de Jacob, va plus loin qu'Abraham; sa miséricorde transforme une femme de petite réputation en témoin privilégié de sa résurrection. Il a vu sa soif d'eau vive.
Cette rapidité à arracher, éliminer ce qui nous déplait est de tous les temps. Le sage Quoelet remarquait : ainsi tous ont un même sort, le juste et le méchant... Je regarde sous le soleil: à la place du droit, là, se trouve le crime, à la place du juste, la, se trouve le criminel (Qo 3, 16; 9, 2).
Le message de notre évangile est limpide, mais de toute évidence pas facile à mettre en pratique. Au milieu de toute cette perversité, il y a du beau. Au milieu de ce monde en feu, il y a des chrétiens, des musulmans s'aidant mutuellement, priant ensemble pour un monde neuf. Leur marche ensemble nous rappelle que rien n'est définitivement perdu. Faut-il tout détruire ? N'arrachez pas l'ivraie (13, 10). Cela ne signifie pas de nous taire devant ces tueries monstrueuses. Il nous appelle à tuer le mur de la haine. Il nous appelle à nous donner un cœur sans haine. En chacun de nous, il y a un regard plus ou moins virulent sur les monstruosités actuelles.
Nous ne sommes pas mandatés pour opérer un tri et exclure ceux qui, à nos yeux, ne sont pas dignes. Malgré le malaise profond et sain que nous ressentons devant le mélange de bon grain et d'ivraie, de bien et de mal, qui se révèle à nous dans la réalité de notre monde, nous sommes invités à focaliser nos regards vers le bien qui est moins visible.
Nous sommes en sortie pour semer en abondance un appel à vivre en harmonie dans la maison terre, dont parle la première lecture. Le message de Matthieu est simple : ça prend du temps pour croître. Ça prend du temps à la petite graine pour devenir l'arbre qu'habiteront les oiseaux. Il ne s'agit de pas de crier: Seigneur, Seigneur, pour devenir évangile.
Pas évident parce que notre culture ne supporte pas les imperfections. Des pages entières de publicité sont destinées à nous vendre le beau, telle marque de commerce, tel modèle cellulaire plus performant qu'un autre. Dans les épiceries, on nous montre que ce qui est parfait. Et dans un coin éloigné se cache un comptoir pour les fruits imparfaits. Si nous recueillions toute la nourriture imparfaite, nous pourrions nourrir le monde entier, dit un passage de Laudatio si.
Devant cette parabole surgit en moi cette question : serait-ce parce que notre Église n'est pas parfaite qu'elle n'est pas vendable ? Achetable ? Rejetée ? Nos imperfections (ivraies) repoussent même si en théorie on se sait imparfait. N'arrachez pas l'ivraie. N'arrachez pas les imparfaits...vous arracherez l'Église... Quelle belle image ! Mais Jésus, lui, a préféré vivre avec des imparfaits. Il a préféré être tué plutôt que de tuer. Il a voulu donner une chance : va ne pèche plus. Va, relève-toi et marche... Il est venu pour les pécheurs et non pour les biens portants.
Si Jésus nous révèle son incroyable bonté, c'est qu'il veut que nous posions ce même regard de beauté qui se cache sous le voile du mal [qui] est là pour ne plus être là (France Guéré).
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