Année A: Lundi 12e semaine ORDINAIRE (litao12l.11)
Matthieu 7, 1-5 : devenir un disciple accompli...
Autant les mystiques, les auteurs spirituels et les philosophes que les thérapeutes s'entendent pour affirmer que toutes nos réactions reposent sur la connaissance de soi. C'est la première pierre de toute santé mentale. C'est la pierre de fondation de la loi nouvelle. De tout comportement nouveau. Thérèse d'Avila va jusqu'à affirmer que la connaissance de soi vaut mieux que mille jour de prières. Très fort! Maître Eckhart prétend qu'on ne peut connaître Dieu sans d'abord se connaître soi-même.
Dans un de ces apophtegmes, ces petites phrases anodines qui contiennent presque tout l'évangile, il est dit qu'un moine un jour demanda au sage vieillard Abba Poemen comment devenir moine ?Le vieillard répondit : Si tu veux trouver du repos ici-bas et dans le monde à venir, dis en toute occasion : Moi, qui suis-je ? Et ne juge personne. Puis il ajoute : quand nous cachons les fautes de notre frère [notre sœur], Dieu lui aussi cache les nôtres. Quand nous les manifestons, Dieu lui aussi nous montre les nôtres.
Dans une lettre qui remonte au Ve siècle et qui pourrait être aussi contemporaine, le moine Dorothée de Caza écrit que certaines personnes convertissent en mauvaises humeurs tout aliment qu'elles absorbent... elles transforment les choses utiles en mauvaise choses pour elles... D'autres gens transforment tout en bonnes humeurs ... elles tirent profit de tout, même de ce qui n'est pas profitable. Le livre des Proverbes confirme cela : Celui qui regarde avec douceur, obtiendra miséricorde (12, 13).Il s'empresse d'ajouter : À l'homme insensé, toutes choses sont contraires (14, 7).
Par l'exemple de la paille et de la poutre, Jésus va droit au cœur du comportement pascal de tout croyant. Pour lui, tout comportement nouveau, pascal, évangélique, la loi nouvelle quoi ! - nous venons de l'entendre ces derniers jours - passe par une claire vision non de l'autre, et de soi-même. La nouveauté de l'évangile conduit à projeter sur autrui un regard aussi miséricordieux que celui que nous désirons voir poser sur nous. Le disciple «accompli» est celui dont le regard déborde de miséricorde, qui sait juger selon la miséricorde de Dieu.
Ce passage de Matthieu nous révèle aussi ce que tout faux comportement a pu faire vivre à Jésus. Les lecteurs assidus de l'Évangile, les vrais priants savent comment pour Jésus rien n'était plus détestable et mortel que l'hypocrisie. Esprit faux, vient de nous dire Jésus. Il s'emportait vivement devant ceux qui disent et ne font pas (Mt 23, 3).Il dénudait ouvertement ceux que l'ÉGO rendait aveugles sur eux-mêmes. Je te rends grâce de ce que je ne suis pas comme le publicain (Lc 18, 11).Les vrais priants expérimentent au quotidien que c'est le regard honnête sur soi qui nous rapproche de Dieu et qui attire le regard de Dieu vers nous.
Saintetés, ce regard de la paille et de la poutre est véritablement un médicament de l'immortalité - je paraphrase ici saint Ignace d'Antioche - tant il démasque nos empressements à chercher des coupables. Il nous confronte avec ce que Paul appelle les œuvres de la chair : hostilité, conflit, jalousie, colère, rivalité, division, vanité (Ga 5, 19-21, 26).
À votre contemplation : cette page nous place en face de nos propres contradictions. Nous passons notre temps à soupirer à Dieu qu'il pose sur nous un regard de compassion alors que nous sommes prompts à nous plaindre, à reprocher aux autres leurs comportements inadéquats à notre endroit. Comme l'exprime Luc dans le passage parallèle : le disciple (que nous sommes) n'est pas au-dessus de son maître, mais il peut devenir comme Lui (Lc 6, 40) en offrant des yeux perçant la beauté cachée dans ce que nous voyons de misérable dans l'autre. Des yeux qui ressuscitent l'autre. Des paroles qui redonnent vie aux ossements desséchés (Éz 37, 3). Nous perdons, dit Origène, notre temps à faire connaître l'évangile si nous offrons une parole méchante [parce qu'] elle fait un méchant travail. AMEN.
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