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SERVIR, UN CHEMIN MYSTIQUE

Causerie   SERVIR, UN CHEMIN MYSTIQUE 

«N’avoir aucun désir pour autre chose que Dieu.»Testament de François

«Ils disent et ne font pas.» (Mt 23,3)

INTRODUCTION

La loi du service est une chose à laquelle toute personne qui a atteint une certaine maturation de la foi ne peut échapper.  Servir est le résultat d’un extraordinaire événement intérieur.  D’un bouleversement intérieur.  Servir exige une véritable conversion qui consiste à nous détourner de nous-mêmes pour nous tourner vers les autres.  À nous «éveiller», pour parler comme un brahman, à autre chose que nous-mêmes.   C’est la base d’une vie spirituelle de qualité. 

Celui qui a une vie spirituelle authentique sait dépasser son «moi» naturel pour atteindre le vrai «MOI», cet être divin qui demeure en nous.  Une intense vie spirituelle est un perpétuel mouvement de «sortie» de nous-mêmes pour «laisser entrer quelqu’un d’autre» à qui nous offrons toute la place.  L’«expropriation de soi-même» est le signe d’un réel progrès vers une vie spirituelle équilibrée.  Le Signe que nous progressons dans une vie de service. 

Gandhi disait «si je me suis trouvé entièrement absorbé par le service de la communauté, la raison profonde en a été mon désir d’accomplissement de l’être. Servir est une religion ; et j’avais embrassé cette foi dans le sentiment que ce n’était qu’en servant que l’on pouvait atteindre à Dieu. Servir pour moi, c’est servir l’Inde» (Livre des sagesses p. 1543).

Nous avons été créés pour servir.  C’est notre responsabilité «conjugale».  C’est aussi une spiritualité qui est au cœur et au centre de toutes les religions du monde.  Servir confirme que nous avons franchi la distance entre le faire et l’être.  Entre la «foi et les œuvres» pour citer la lettre de saint Jacques. Servir nous métamorphose en fils de Dieu.

La contemplation vient au terme d’un long cheminement : «les sept demeures» (Thérèse d’Avila) ; les «quatre échelles du moine» (Guigues le Chartreux), les «dix étapes de la contemplation» (le zen) «l’épître aux dix fondements» (le soufi).  Le service aussi.  Il est un signe visible qui confirme que nous vivons une intense union à Dieu ; que nous avons atteint une grande qualité d’être en franchissant les étapes incontournables que sont le détachement, l’abandon, le «mourir à soi-même» (Kierkegaard, livre des sagesses 1373).  Servir, c’est la foi en acte.  C’est passer notre foi dans la vie.  Nous ne naissons pas serviteur.  Nous ne le devenons qu’au terme d’une longue ascèse.  Marie n’a dit OUI à l’ange, qui l’invitait à servir son Dieu, qu’après un long travail de naissance en Dieu.

Dans la soufisme, on dit que le «plus élevé des hommes est leur serviteur».  Cette mystique précise que «ce que tu as dans la tête, abandonne-le ; ce que tu as en main, donne-le ; ce qu’il t’advient, ne l’esquive pas».  Dit autrement, celui qui désire une chose en devient l’esclave.  Ne rien désirer, ne rien posséder, ne rien esquiver pour devenir «le plus élevé des hommes». 

Dans l’Islam, trois signes confirment que quelqu’un possède les vertus qui le font humain : donner à manger au prochain ; entendre les vœux de paix de tous les hommes ; répandre sur tous les hommes de bonnes actions.  Trois signes indissociables qui se complètent et que nous pourrions signer comme chrétien.

Servir ouvre sur une mystique. Sur une vie d’union à Dieu. Sur une vie de prière.  Réussir à nous détourner de nous-mêmes pour nous tourner vers l’Autre et les autres, c’est l’apogée, la caractéristique d’une grande vie intérieure.  C’est l’autre mot de l’Amour, mot pour lequel Marguerite Yourcenar demandait une trêve.  Servir, c’est l’amour en acte. Dag Hammarskjöld, secrétaire général de l’ONU et grand mystique, disait qu’«à notre époque la voie qui mène à la sainteté doit nécessairement passer par le service des autres».

«Sans amour» dit l’apôtre Paul, sans esprit de service, «je ne suis rien» (1Cor12, 31)C’est en servant que nous devenons quelqu’un. «J’aurais beau parler toutes les langues du monde, j’aurais beau être prophète, avoir l’intelligence de tous les mystères, tout connaître, mais si je ne sais pas servir avec patience, bienveillance, sans blesser, sans me gonfler d’orgueil ni chercher mon propre intérêt, je ne suis que l’écho d’une cymbale» (1 Cor, 12, 31s).

La qualité dominante des mystiques de toutes spiritualités, toutes confessions comprises, est de demeurer en état de service.  C’est un signe visible que nous progressons dans notre transformation en Jésus.  Un disciple est quelqu’un qui sert, qui sert l’Unique, qui renonce à tout intérêt égoïste et dont la vie est habitée par le projet de Dieu sur le monde. «Si nous cherchons des alibis pour ne pas nous engager, n'est-ce pas parce que, intuitivement, nous savons qu'en mettant le petit doigt dans l'engrenage, toute la main et tout le corps y passeront» (Père Wresinski: les pauvres, Rencontre du vrai Dieu  Cerf 1986 p 152).

UNE MYSTIQUE DE MORT

Paradoxalement le chemin d’accomplissement, le point d’arrivée vers une qualité de vie évangélique qu’est le service passe obligatoirement, je le répète, par une mort à nous-mêmes, par un oubli de soi, un don de soi jusqu’à devenir «effigie» du Christ.  Il n’y a personne dans le monde entier qui puisse être en état de service, en état de conjugalité accomplie, en état d’époux sans d’abord mourir.

Saint Jean, au chapitre 12, affirme que pour vivre il faut mourir.  Je parlais hier de l’incontournable appel à «lâcher prise», à quitter un «MOI» qui désire toujours plus de place pour un autre «moi». «Ce n’est plus moi qui vis mais le Christ qui vit en moi» (Gal 2, 16).  «La meilleure adoration, c’est d’imiter celui que nous adorons» (William Brownfiel).  «Le service n’est pas toujours ce que l’on pense» (Jn 8, 31-59).  «Mon fils,  déclare Ben Sirac, si tu prétends servir le Seigneur,  prépare-toi à l’épreuve» (Si, 2.1).

Pour bien entendre ces mots étonnants que servir est un état d’accomplissement, une confirmation d’une maturation de notre foi ; pour bien accueillir cette vision qui provoque un renversement à plus de 180 degrés de nos conceptions du service, il faut chaque jour entrer plus à fond dans l’Être divin par le recueillement. Il faut passer par la «porte étroite» du Christ.  Nous ne pouvons servir autrement qu’en prenant «la porte» «le chemin» que nous a tracé Jésus.  Nous pouvons servir (c’était le sens de la soirée pénitentielle) pour nous «rendre gloire», pour nous donner une «réputation» «une renommée» ou que sais-je encore.  «Si le sel s’affadit»,  si nous perdons le sens du service,  qui donc va nous en donner le sens ?

Le plus grand honneur au monde, la plus haute dignité qui soit, c’est d’être appelé à servir Dieu. Estimer grand que Dieu nous appelle à servir sa renommée et non la nôtre.

UNE MYSTIQUE D`EFFACEMENT            

Si servir est une mystique, une manière de vivre en union à Dieu, cela signifie que nous acceptons un itinéraire d’effacement, d’anéantissement.  L’effacement ne diminue pas l’activité mais réduit notre inclination naturelle de vouloir paraître, de nous imposer.  L’effacement nous rend plus conforme au mouvement de la «grâce du service», Claire d’Assisse dirait de la «grâce du travail».  Il nous situe au niveau du cœur de Dieu.  «Je veux ta volonté, mon Dieu» (Bible, version Segond du Ps 40,8). «C’est mes délices, ô mon Dieu, de faire ce qui est ton bon plaisir» (Bible, version Darby).  «Mon Dieu, j'ai pris plaisir à faire ta volonté, et ta Loi est au-dedans de mes entrailles.» Désir et plaisir d’accomplir, un double chemin pour se vider de sa propre volonté.

Paradoxe, cette vie d’effacement est une vie enrichissante parce que chacun existe pour l’autre. Parce que chacun est «choisi», «envoyé» pour les autres.  Ce fut la manière de vivre de Jésus, qui a goûté aux délices de s’en remettre au Père jusqu’à consentir à n’être rien.  «Ce n’est pas moi qui sers, mais le Christ en moi». 

Cette vie d’effacement, cette vie sans exercice de pouvoir sur les autres, sans domination, cette vie «sans papier», sans statut social, ouvre sur une «béatitude», un bonheur indescriptible. Il faut savoir que nous sommes les premiers bénéficiaires de ce bonheur.  Servir l’humanité nous rend service car il donne naissance à ce que nous souhaitons le plus : un environnement égalitaire, de «mise en commun».

Le vrai serviteur voit sa renommée s’accroître quand s’accroît en lui l’effacement, que sa visibilité fait place à des fruits juteux. À la saison des vendanges, nous ne voyons plus l’arbre mais les fruits. «Si quelqu’un sert», il portera des fruits qui attirent. Refuser, comme serviteur, cette mystique de «vivre caché en Dieu», d’être appelé «amis», «je vous appelle amis», c’est devenir des «antéchrists» dont parle Jésus lui-même.  Nous sommes des «invités»,  des «appelés» à servir.

Dans une réflexion qu’il offrait lors de la journée du jubilé des catéchètes, le 10 décembre 2000, le cardinal Ratzinger leur disait :

 «Nous ne cherchons pas seulement l’écoute pour nous… Nous ne voulons pas augmenter le pouvoir et l’extension de nos institutions, mais nous voulons nous mettre au service du bien des personnes et de l’humanité en faisant place à Celui qui est la Vie.  Cette expropriation de soi-même, en l’offrant au Christ pour le salut des hommes, est la condition fondamentale d’un authentique engagement pour l’évangile (serviteur de l’évangile).  Je suis venu au nom de mon Père et vous ne m’accueillez pas ; qu’un autre vienne en son propre nom, celui-là vous l’accueillez»  (Jn5, 43).

Le signe distinctif de l’antéchrist est de parler en son nom propreLe dessein trinitaire – visible dans le Fils qui ne parle pas en son nom - montre la forme de vie du véritable évangélisateur (serviteur).  Mieux encore, évangéliser n’est pas uniquement une façon de parler, mais une façon de vivre : vivre dans l’écoute et se faire la voix du Père. «Car il ne parlera pas de lui-même mais ce qu’il entendra, il le dira»  dit le Seigneur à propos de l’Esprit saint… Ne pas parler en son nom signifie parler dans la mission de l’Église. »

Face à cette attitude d’effacement, «d’expropriation de soi-même», nous entretenons une sorte de relation ambiguë. Nous faisons tout pour l’éviter, l’éloigner de nos vies. En même temps, nous sommes fascinés par toutes ces personnes qui en ont fait le cœur de leur vie. De manière intuitive, nous percevons que l’effacement confère, à ceux qui en vivent, une densité, une visibilité insoupçonnée. Devant cet appel, nous sommes partagés entre l’hésitation et l’émerveillement.

Dans toutes les grandes spiritualités, toute vie de service se perçoit dans l’art de placer l’autre en première place. De l’élever. «Il faut que je décroisse et qu’il croisse» disait Jean-Baptiste qui a rendu à Jésus le plus beau des services. Toute vie mystique pousse à dépasser le «nombrilisme inhérent pour accéder à cet accroissement de l’être qui universalise».  Ces mots sont d’Etty Hillesum qui a refusé de se dissocier de ce «destin de masse» de son peuple pour «vivre cette vie jusqu’à mon dernier souffle avec toute la conscience et la conviction possible. N’est-ce pas une façon de travailler pour la postérité» (Etty Hillesum, une vie bouleversée, p.144-145). Toute vie mystique pousse à dépasser « la simple amitié pour opter pour un service qui nous procurera l’union » pour citer Léon X111. 

 UNE MYSTIQUE EUCHARISTIQUE 

«Se tenir en habit de service» ne passera jamais par l’exaltation de «sacrifices» faits.   Notre foi situe d’emblée le service dans la perspective de la croix, dans celle d’une vie donnée, livrée.  Notre foi nous fait pressentir que servir nous fait devenir eucharistie. Nous fait  des êtres d’eucharistie.  Notre désir d’être semblable à Jésus change radicalement notre regard sur la manière de servir. 

Dans un regard de foi, servir devient le mémorial d’une vie qui va jusqu’au don total, jusqu’au «boutisme». Cela suscite autant l’incompréhension et que le refus. Jésus a connu cela en lavant les pieds de ses disciples et en donnant son corps à manger. Dans un regard de foi, servir est le sacrement de notre propre vocation. «C’est un exemple que je vous ai donné afin que vous aussi vous fassiez de même»  (Jn 13, 1-15).

Au soir du Jeudi saint, Jésus n’a pas institué un rite, une célébration du souvenir.  Il a montré une manière de vivre, une nouvelle façon d’être et de servir.   Les disciples ont tellement eu peur de cette manière de vivre qu’ils ont fui.  À l’époque de Jésus quand le Maître était arrêté, les disciples l’étaient aussi pour éviter qu’ils fassent renaître le mouvement qu’il (le Maître) avait commencé.   À l’heure où Jésus retourne chez son Père, à l’heure où il est pleinement conscient du calice à boire, Jésus nous montre ce qu’est être pleinement libre, être pleinement «serviteur».  «Il n’y a pas de plus grand amour (service) que de donner sa vie».  Une manière de vivre. «Vous ferez cela en mémoire de moi», «vous répéterez ce qui s’est passé».

Nous sommes par mission – c’est un sommet mystique difficilement accessible – des gens à genoux, appelés à boire à la coupe que je vais boire. «Pouvez-vous boire» demande Jésus à Jacques et Jean, les fils de Zébédée (Mc 10,32-45) «la coupe que je vais boire, ou être baptisés du baptême dont je vais être baptisé ? » Ils lui dirent : «Nous le pouvons.» Jésus leur dit : «La coupe que je vais boire, vous la boirez, et du baptême dont je vais être baptisé, vous serez baptisés».  Dieu ne règne pas, ne sert pas à la manière des humains. Son royaume n’est pas de ce monde. Il n’a pas besoin de puissance pour régner. Servir est le sceau du règne. C’est le mystère de l’Être même de Dieu. «Tu nous as choisis pour servir en ta présence». «Devenez ce que vous êtes» dit Augustin devant ce sacrement admirable. Il n’y a pas de plus haut mysticisme que cela.

L’eucharistie, comme service, engage à la communion, à la solidarité, à une fraternisation sans prix. Cela suppose un choix de vie : être dérangé sans cesse. N’avoir aucun endroit où reposer la tête, c’est déracinant.  Cela suppose un choix de vie. Le vrai service nous empêche de vouloir sauver sa peau à tout prix. Servir jusqu’à refuser de nous dérober à des situations lourdes d’implication. Étape cruciale, incontournable.

CONCLUSION

À l’heure de notre culture hédoniste où la mondialisation est un beau mot pour cacher la recherche moins noble de l’écrasement du plus petit, l’avenir du serviteur, le serviteur de l’avenir sera celui qui optera pour une autre «folie» que celle de la mondialisation, «la folie de la croix». C’est le poumon qui oxygène le cœur du chrétien et qui permet au serviteur de l’Évangile de se situer clairement. Servir est un chemin d’union à Dieu en mettant nos pieds dans ses sandales. «On ne connaît quelqu’un que lorsque nous mettons nos pieds dans ses sandales.»

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Date: 
Mercredi, 1 avril, 2015

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