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Langlois, Mgr Joseph-Alfred 1926-1966

« Misericordia et veritas » (Miséricorde et vérité)

 

Mgr Joseph-Alfred Langlois est né à Sainte-Claire (Dorchester, Québec) le 4 septembre 1876. Il a été le troisième évêque du diocèse de Valleyfield de 1926 à 1966. Élu évêque auxiliaire de Québec, il fut sacré par Mgr Pietro Di Maria, délégué apostolique, le 14 juillet 1924. C'est le 10 juillet 1926 qu'il fut nommé évêque de Valleyfield où son intronisation se déroula le 12 novembre 1926



 

Mgr J.-Alfred Langlois

Joseph-Alfred Langlois naquit à Sainte-Claire de Dorchester, dans le diocèse de Québec, le 4 septembre 1876. Il fit son cours classique à Sainte-Thérèse, grâce à une tante obligeante qui lui paya ses études tout en l'hébergeant, puis sa théologie au Grand Séminaire de Québec. Il fut ordonné prêtre le 25 mai 1902.

 

Élève brillant, il fut vite remarqué par ses maîtres, entre autres le cardinal Bégin et Mgr Paul-Émile Roy, qui lui confièrent des tâches importantes. Professeur au collège de Lévis, puis au Grand Séminaire de Québec, il fut un éducateur brillant et admiré. Après des études à Rome et à Louvain, il revint comme professeur et directeur du Grand Séminaire de Québec. En même temps, il prêchait des retraites partout avec le Père Lelièvre et Mgr Hallé. Esprit ouvert, il s'éveilla vite aux questions sociales sous l'influence de Mgr Paul-Émile Roy, le bouillant apôtre de la tempérance et du Journal catholique. Cet intérêt pour la presse catholique ne le quittera jamais. Évêque de Valleyfield, il fondera le journal Le Salaberry pour enseigner la doctrine sociale de l'Église catholique et défendre ses positions. Il est ensuite nommé curé-fondateur de la paroisse Sacré-Cœur de Québec mais, peu de temps après, évêque auxiliaire de Québec. L'opinion publique voyait déjà en lui un futur successeur de Mgr de Laval sur le siège épiscopal. Or à la surprise générale, il fut nommé évêque de Valleyfield le 10 juillet 1926, tâche qu'il assumera durant 40 ans, jusqu'à son décès le 22 septembre 1966. Il fut le premier évêque du diocèse à décéder à Valleyfield. On l'inhuma dans la crypte de « sa chère cathédrale ».

 

Une carrière épiscopale si longue comporte des joies pastorales profondes, mais aussi des blessures non moins profondes.

 

Mgr Langlois eut la profonde satisfaction d'ordonner de nombreux prêtres; il créa 19 paroisses et 3 dessertes; il eut la joie de voir la Maison de retraites fermées des franciscains de Châteauguay et celle des Sœurs Grises de l'Île Saint-Bernard ouvrir leurs portes à des centaines de catholiques désireux d'affermir leur foi. Il aimait célébrer la liturgie dans sa cathédrale où il se sentait vraiment le pasteur de toute l'Église diocésaine. Il cultiva aussi des amitiés durables et profondes avec Mgr Delphis Neveu, le chanoine Lionel Groulx et le futur cardinal Léger qu'il alla chercher à Montréal pour en faire son vicaire général. Fidèle à ses idéaux, il consacra beaucoup d'énergie à créer et à soutenir son journal, Le Salaberry, sur lequel il comptait beaucoup.

 

Mais l'évolution de la société québécoise devait apporter à cet homme d'une rare sensibilité de grandes souffrances. La Crise économique des années '30 et la Deuxième guerre mondiale avec leur cortège de misères et de bouleversements universels l'affectèrent beaucoup. Les deux grèves (1937-1949) de la Montreal Cottons, employeur majoritaire de la population de Valleyfield, laissèrent des blessures ouvertes lentes à guérir chez les ouvriers. Elles accentuèrent le fossé entre l'Église et le monde ouvrier. Surtout, elles laissaient présager un nouvel ordre social bien différent de celui prôné par l'Église et qu'un homme perspicace comme Mgr Langlois ne pouvait pas ne pas voir. Par-dessus tout, Mgr Langlois souffrait de voir les fidèles prêter une oreille complaisante aux « sirènes du monde moderne » et faire fi des avertissements de l'Église. Le journal Le Salaberry, sur lequel il fondait de grands espoirs, se révéla bientôt « une croix fort pesante à porter ». Fortement engagé en faveur du mouvement lacouturiste, il se vit infliger un cruel démenti quand ce dernier fut condamné. Il dut accepter la disparition de l'A.C.J.C. au profit des mouvements d'Action catholique spécialisée, dont la vision de l'Église et du monde ne correspondait pas à la sienne.

 

À ces souffrances morales s'ajoutèrent les souffrances physiques qui n'épargnèrent jamais Mgr Langlois. Sa santé, habituée au climat sec de Québec, supportait mal l'humidité constante de la région de Valleyfield : chaque année, des grippes chroniques et même malignes le confinaient à sa chambre durant plusieurs semaines. Il dut aussi subir six ou sept opérations majeures dont quelques-unes le conduisirent aux portes de la mort. La fin de sa vie fut affligée d'une surdité et d'une cécité qui le firent vivre dans un demi-crépuscule. L'état vacillant de sa santé le força à démissionner en 1964.

 

La mémoire collective des diocésains de Valleyfield a retenu deux traits de la personnalité de Mgr Langlois : son extrême délicatesse et son éloquence.

 

Mgr Langlois était un homme d'une extrême sensibilité. C'est à regret qu'il quitta Québec et son cœur y resta toujours attaché. Ses visites dans la veille capitale et dans sa famille avaient toujours sur lui l'effet d'un bain régénérateur. Et quand, au détour d'une conversation, il parlait de son « cher Québec », sa voix était toujours teintée d'une imperceptible nostalgie. Il souffrait des blessures faites à autrui comme si elles lui avaient été personnellement infligées. Un de ses amis avait été obligé de démissionner de son poste et on l'avait remercié assez cavalièrement. Aux responsables venus le voir pour réparer les pots cassés, il s'était contenté de dire : « Je ne vous aurais pas fait çà, moi! ». On l'a souvent vu pleurer en apprenant la maladie ou des mésaventures de l'un de ses prêtres. Cette délicatesse lui faisait supporter sans se plaindre d'innombrables contretemps. Cette sensibilité en faisait, par contre, un homme d'une rare courtoisie. Il laissait volontiers son travail pour recevoir un visiteur impromptu sans jamais lui laisser l'impression qu'il le dérangeait même quand l'entrevue se prolongeait indûment. À la fin de sa vie, il fut obligé de démissionner de sa charge. Un soir, peu après, il descendit prendre la récréation avec les prêtres de l'évêché à la salle commune, et avant de les quitter, il leur dit : « Vous vous rappelez l'histoire de ce lépreux de la ville d'Aoste, en Italie, qu'on avait relégué hors de la ville et qu'un enfant d'école consolait en lui criant au passage : Bonjour Lépreux. Je ne viendrai plus souvent à votre récréation, car mes infirmités me confinent en ma chambre pour les repas. Mais ma porte est ouverte, et, quand vous passerez, songez parfois à votre vieil ermite et dites en passant : Bonjour Lépreux ».

 

 

Mgr Caza l'a admirablement décrit : «Une bonne grâce sans défaut, une urbanité d'ancien régime, une conversation amène, une surprenante faculté d'attention attachée à tout et à tous ceux qui l'entouraient, je ne sais quelles antennes l'avertissaient aussitôt du mot à ne pas dire, de la parole qui convenait, du geste délicat qui conquérait... C'étaient là des fleurs de civilisation, mais qui plongeaient leurs racines dans l'évangélique charité... ».

 

S'il est un talent qui a toujours été reconnu à Mgr Langlois, c'est bien son éloquence : « Comme il parle bien, notre évêque! » s'exclamaient les fidèles qui l'entendaient, « C'est comme l'eau de roche, ça sort du cœur; il nous parle comme un père de famille... ». Dans les occasions les plus variées et les plus imprévues, il savait toujours charmer ses auditeurs. Fin observateur, il excellait à raconter un fait, à mettre en relief les qualités d'une personne, à faire revivre une situation, à brosser un portrait, à souligner le succès d'une œuvre, à dégager les traits pittoresques, à faire valoir les qualités sans omettre les défauts. La fidélité de sa mémoire et son exquise délicatesse savaient rappeler tous les détails d'une fête ou d'un séjour comme s'il les avait notés et classés à mesure. Mgr Langlois avait une parfaite maîtrise de la langue française, une voix chaude et douce, mais capable d'être puissante quand il le jugeait nécessaire. Il était un orateur né. « Quand je parle aux gens, disait-il, je m'adresse toujours en esprit à un adolescent de 14 ans, avec cette loi : il faut que lui comprenne. Les autres alors comprendront ». Cette maîtrise du langage n'était pas cependant pure virtuosité. Ses œuvres témoignent de son souci d'enseigner : il mettait toujours l'accent, quels que soient la circonstance et le biais sous lesquels il les abordait, sur les vérités chrétiennes fondamentales comme l'amour de Dieu, l'Incarnation de son Fils, le destin universel du salut et l'importance de prendre les moyens pour le réaliser.

 

Tout homme est le fils de son temps, mais il ne s'y réduit jamais. Mgr Langlois a été pour nous un témoin privilégié de la bienveillance de Dieu qui nous a montré à travers lui un aspect unique de son Visage.

 

Gabriel Clément, prêtre

Tiré de Témoins d'Une Église, 1991