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LES DÉSHONNEURS DU SERVICE (soirée pénitentielle)

CAUSERIE : LES DÉSHONNEURS DU SERVICE (soirée pénitentielle)

«Je veux que vous soyez avertis que personne ne peut vivre sur terre sans tentation.»  Saint Bernard

INTRODUCTION :

«Prenez garde de ne pas vous mettre au service du mensonge» (1Jn 5,21). OUI, il y a des manières de servir qui ne font pas honneur au service. Des manières qui sont ″mensongères″. Oui, il y a des ratés dans nos manières de servir, des ratés qui font mal à la promotion de l’Évangile. Oui, nous servons plus souvent qu’autrement deux maîtres en demeurant au service de notre ″moi″ et au service de Dieu. «Nul ne peut servir deux maîtres. » Oui, nous perdons les trésors que Dieu a enfouis en nous pour d’autres trésors, relatifs, éphémères. Plus nous avons d’années de service, plus notre «vieillissement» dans le service s’accroît, plus nous risquons de connaître - par habitude plus que par mauvaise volonté - des détournements importants des talents reçus. Nous enfouissons les trésors dans nos terres, nous devenons amoureux de nos talents plutôt que de les faire fructifier au service de l’Évangile. Il est tellement plus facile d’exister aux yeux des autres par ce que l’on fait que d’oser croire que l’on existe par ce que l’on est. C’est humain. Ce n’est pas évangélique. 

Paraphrasant une excellente réflexion de Jean de Portes (lettres à Étienne 25-29), je nous dis : Par nos manières de servir, «nous avons perdu le Paradis».  Ce soir, par Sa manière à Lui de nous servir, Il nous fait l’honneur et la grâce d’éprouver la joie de nous sentir accueillis dans son Ciel, son Royaume. Le fameux «tu es terre et tu retourneras à la terre» est désormais à comprendre «parce que tu es terre, façonné dans le mal, tu seras élevé jusqu’à t’asseoir à ma droite».  Tout repose sur cette certitude de foi : «Le Fils de Dieu s’est fait fils d’homme pour que nous devenions fils de Dieu

  Il y a des manières de servir qui sont asservissements. Qui nous font devenir de faux serviteurs.  Il y a des fausses manières de servir. Il y a des mercenaires déguisés en serviteurs.  Mais précisons que de ne pas servir, c’est aussi nous asservir. C’est refuser de nous réaliser. Paul affirme aux Galates (4,3) que ne pas servir, c’est se vouer aux «éléments du monde jusqu’en devenir esclaves».  Ne pas servir, c'est contrevenir à notre nature profonde.  C’est un mal qui nous rapetisse, qui est «contre nature».

Nous sommes ici pour porter un regard lucide, non sur nos engagements, mais nos manières de servir. Il ne s’agit pas de renoncer à servir. Il s’agit en régime chrétien, de purifier nos manières de servir. De les rendre plus évangéliques. Le théologien Karl Barth écrivait de l’Église, mais cela s’applique aussi à chacun de nous : «Si l'Église n'a d'autre but que son propre service, elle porte en elle les stigmates de la mort» (Karl Barth, Esquisse d'une dogmatique, Delachaux-Niestlé, 1950, p. 144). Le véritable service «est au profit d'un autre que soi» (Peterson 1993, Claire of Assisi). Une évidence pourtant négligée !

Fausses manières de servir Dieu dans la Bible

Dans une page à écouter avec des oreilles fines, raffinées, des oreilles ouvertes sur le cœur, Matthieu (23, 1-12) décrit les pièges qui attendent les pratiquants de l’Évangile. Cette page est très actuelle.  Elle nous concerne. Elle présente une série de pièges communs à beaucoup de gens investis d’une charge quelle qu’elle soit. Elle pourrait se nommer : les pièges de l’autorité ou conseils aux serviteurs de la Parole. 

(Vous pouvez rencontrer ces fausses manières de servir chez Luc (18,1-10) Religion extérieure ; (15, 25-32) mettre le devoir à la place de Dieu ; (Luc 10, 38-52) Marthe qui s’épuise au service).

Premier piège : «Ils disent et ne font pas» (Matthieu 23, 1).

Ce travers est tellement humain qu’il nous concerne tous. Un mystique soufi disait : «Belles sont les paroles dans la bouche de qui les pratique, beau celui qui les enseigne et beau celui qui les pratique».  Un rabbin juif écrit : «Apprendre, garder et faire, il n'y a rien au-dessus» (Deutéronome).  «Celui qui apprend pour ne pas pratiquer, il vaudrait mieux pour lui qu'il ne fût pas créé» (Lévitique). «C'est pour cela qu'a été donnée la Tora : pour apprendre, pour enseigner, pour garder et pour accomplir» (les Nombres). Jésus en dira autant : «Celui qui mettra en pratique les commandements et les enseignera, celui-là sera déclaré grand dans le Royaume des cieux» (Mtt 5, 19).  «Il ne suffit pas de me dire Seigneur, Seigneur, pour entrer dans le royaume des cieux ; il faut faire la volonté de mon Père qui est aux cieux» (Mtt 7, 21).

S’il y a une chose qui a fait beaucoup réagir Jésus durant sa vie publique, c’est celle de mener une double vie. Une vie mensongère, hypocrite mettait Jésus hors de lui-même. Il devenait furieux, intransigeant, lui qui, par nature, était plutôt compréhensif. «Vous dites et ne faites pas» (Mtt 23, 1-12).

Deuxième piège :  «Ils lient  de pesants  fardeaux et en chargent les épaules des gens ; mais eux-mêmes ne veulent pas les remuer du doigt»

Il s’agit ici de pratiquer l'autorité comme une domination et non comme un service. Dans l’histoire de notre Église, nous ne pouvons nier une longue période de domination de l’autre. Les chrétiens ont connu la tentation d’asservir les peuples musulman, juif, jusqu'à voir en eux des anti-christs à abattre, à anéantir.

Cette tentation d’asservir émerge quand nous cessons d’ «aller sur l’autre rive» à la rencontre de Dieu. Faute de cet exode quotidien, nous perdons de vue que nous sommes conjugalité, que nous sommes appelés – c’est notre identité - à vivre avec l’autre, en relation d’égalité. Simple, nous avons besoin de l’autre. Une règle d’or affirme de faire aux autres ce qu’on aimerait qu’on nous fasse.

Aujourd’hui il y a une façon d’être au service des autres, de la collectivité - mondialisation, nations – en les voyant comme des ennemis, quelqu’un de menaçant.  Apparaît non plus la dynamique du face à face mais celle de contre à contre. Nous n’avons plus d’espace mutuel à partager. Toutes les astuces sont permises pour préserver, accroître mon espace sur l’autre. Ce piège nous fait perdre la notion d’un Dieu qui a constamment besoin de l’autre. D’un Dieu service (causerie de ce matin).

Nous pouvons vivre notre mandat comme un merveilleux moyen de servir les autres, comme une responsabilité à exercer au bénéfice de tous. Il peut être aussi prétexte à domination ou à supériorité. Nous pouvons nous servir de la religion, vivre un mandat pastoral à des fins personnelles. Il y a pire, c’est d’asseoir notre autorité - un mandat donne de l’autorité - sur un soi-disant droit divin. Les religions n'y échappent pas toujours, les pouvoirs politiques non plus. C’est la source de combien de conflits sanglants.

Troisième piège :  «Ils agissent toujours pour être remarqués des hommes : ils portent sur eux des phylactères très larges, des franges très longues»

Qui n'est jamais tombé dans ce travers d'aimer paraître, d'attirer sur soi la considération et l'intérêt ? Le prophète Ezékiel (34,1-10) dénonçait ceux qui utilisaient le service de Dieu pour se faire valoir, mettre de l’avant leur propre profit ou leur propre plaisir. Matthieu (18,7) rappelle que nous «servons Dieu avec un esprit égoïste».  Saint Jean nous rappelle que nous sommes toujours la proie d’un amour de soi qui nous pousse à préférer «la gloire qui vient des hommes à la gloire qui vient de Dieu»  (Jn5,44 ; 12,43.)  Nous ne serons jamais parfaits.  Le professeur doit aller chercher le meilleur chez l’étudiant.  Le prédicateur doit éveiller, orienter sur la Parole de Dieu. Nous nous servons souvent plus que nous servons Dieu.  Utiliser le service pour nous servir, c’est non seulement nous asservir. C’est carrément de l’ idolâtrie.  Montrez-moi la manière dont vous servez et je vous dirai qui est le Dieu qui vous inspire. Si c’est pour les hommes, écrit Paul aux Corinthiens, que nous nous dépensons, nous allons à notre proche découragement. «Il s’est fait esclave de tous».  Paul s’est fait le paillasson sur lequel on s’essuie les pieds. Il est devenu un puissant guide spirituel, non pas un ″supérieur. «Je sais vivre petitement» dit Paul pour qui servir, c’est de dépenser jusqu’au bout sans s’inquiéter des éloges ou des blâmes.

Le travail qui risque le plus facilement de devenir une idole à laquelle on est attaché comme par des chaînes, c’est le travail ″pour la bonne cause.  Il n’y a plus de limite tant les appels retentissent de toutes parts : paroisse, malade, justice sociale. De tous côtés, les appels retentissent avec le sentiment d’ utilité, de se croire indispensable. Il est tellement plus facile d’exister aux yeux des autres par ce que l’on fait, que d’oser croire que l’on existe par ce que l’on est. Ce piège-là, ce péché-là, est très présent dans nos vies.

Le grand antidote contre ce virus-là est le sabbat. Une fois sorti d’Egypte, Dieu a appris à son peuple d’arrêter de travailler un jour par semaine. Luc parle (15, 25-32) d’un esprit d’abnégation extérieurement louable alors qu’il s’agit plutôt de mettre le devoir à la place de Dieu.  Songeons à l’épisode de Marthe (Luc 10,38-42) qui court de bon coeur, mais s'épuise dans son service. Elle fait quelque chose de bon, mais que personne ne lui a jamais demandé. Elle prend tout sur elle. Trop se charger de fardeaux qui ne sont pas de Dieu.

Arrêter pour vérifier si nous pouvons nous passer de servir - à entendre pour se faire remarquer, apprécier.  Le seul moyen de vérifier si servir a atteint une ampleur insoupçonnée, un détournement maladif en nous, consiste à vérifier comment nous réagissons quand nous ne faisons plus rien. 

Quatrième piège : «Ils aiment les places d'honneur dans les repas, les premiers rangs dans les synagogues, les salutations sur les places publiques, ils aiment recevoir des gens le titre de Rabbi».

Après cette énumération, le texte se retourne : «Pour vous» dit Jésus ; c'est la clé de ce texte. Il nous invite à un nouveau mode de vie et de relation. Catherine de Sienne entend Jésus lui dire dans son Dialogue – longue méditation où Dieu lui parle – «vos fautes ne sont pas autre chose que d’aimer ce que je hais et d’haïr ce que j’aime».

Cinquième piège : «Moi, j’ai planté, Apollos a arrosé, mais c’est Dieu qui faisait croître. Ainsi, celui qui plante n’est rien, celui qui arrose n’est rien : Dieu seul compte, Lui qui fait croître. Car nous travaillons ensemble à l’œuvre de Dieu et vous êtes le champ que Dieu cultive, la maison qu’Il construit» (1 Co 3, 6-7, 9).

Pour mieux analyser nos manières de servir, du vrai sens du service, regardons Paul.  Il ne centre jamais les gens sur sa personne. Il se présente aux chrétiens de Corinthe comme un père qui les a engendrés dans la foi (1 Co 4, 15) ; aux chrétiens de Thessalonique comme une mère qui nourrit ses enfants et prend soin d’eux. Mais surtout, il renvoie sans cesse à un autre, le Christ, et il sait que dans son activité apostolique, c’est un autre qui agit, c’est le Seigneur. Lui, Paul, n’en est que le serviteur. Nous avons peine à accepter que Dieu se serve de nous. Nous faisons tout pour Dieu mais nous sommes plus ″travaillés″ par notre état d’esprit que par l’Esprit qui ne peut rien faire en nous. «Ce n’est pas en disant Seigneur, Seigneur qu’on entrera dans le Royaume des cieux … Beaucoup diront en ton nom nous avons parlé,  nous avons fait des miracles. Alors je leur dirai en face «jamais je vous ai connus» (Mtt 7.21-23).  Le piège de l’idolâtrie de soi qui se cache derrière l’énergie que nous mettons à nous faire service est à surveiller de près. Le signe distinctif du mercenaire, du mauvais serviteur, c’est d’agir en son propre nom :  «je suis venu au nom de mon Père et vous ne m’accueillez pas ; qu’un autre vienne en son propre nom, celui-là vous l’accueillez» (Jn5,43).

La grande conviction de Paul, c’est que Dieu est à l’œuvre en lui, que sa Parole l’a touché et touche les cœurs, convertit les esprits, change les vies. Il rappellera aux Thessaloniciens : «Quand vous avez reçu de notre bouche la parole de Dieu, vous l’avez accueillie pour ce qu’elle est réellement : non pas une parole d’hommes, mais la parole de Dieu qui est à l’œuvre en vous, les croyants».

Ce soir, Paul nous invite à questionner nos manières d’annoncer la Parole de Dieu. Sommes-nous plus amoureux de nos talents d’organisateur, de parler de Dieu que des talents que Dieu nous a confiés ? Pour que notre Parole, notre agir éveillent à Dieu, il faut que celui qui l’annonce «décroisse». «Tu seras plus utile dehors si tu vis par le dedans». Dieu ne dit-il pas par la bouche du prophète Isaïe : «De même que la pluie et la neige descendent des cieux et n’y retournent pas sans avoir arrosé la terre, sans l’avoir fécondée et l’avoir fait germer pour fournir la semence au semeur et le pain à manger, ainsi en est-il de la parole qui sort de ma bouche, elle ne revient pas vers moi sans effet, sans avoir accompli ce que j’ai voulu et réalisé l’objet de sa mission» (Is 55, 10-11).

SERVIR EST TRÈS EXIGEANT

Une soirée pour nous questionner sans nous mentir sur nos manières de servir pour mieux rendre service à l’Évangile. Le risque est toujours présent d’un détournement de l’Évangile pour promouvoir nos intérêts.  C’est la tentation qui nous est commune. Notre péché commun. Au lieu de servir Dieu, de s’effacer devant Lui, de Le mettre au centre, nous agissons comme si nous étions le centre d’intérêt.  Nous nous servons de Dieu pour assouvir notre soif de pouvoir, pour asseoir notre respectabilité sociale (Benoît XVI parlait des dangers d’accéder au sacerdoce parce qu’il donne, dans certaines régions du monde, un statut social recherché), pour répondre à un besoin personnel de se sentir utile.

Jésus lui-même dans le désert a été confronté à cette tentation du détournement à son profit du service de son Père. Il a répondu au tentateur :  «Il est écrit : Tu adoreras le Seigneur ton Dieu et c’est à lui seul que tu rendras un culte» (Lc 4, 8). Cette tentation peut nous guetter tous, nous aussi ; elle peut guetter l’Eglise. Sommes-nous signe ou écran ? Sommes-nous serviteurs ou gérants établis à notre compte ? Accumulons-nous les titres  ou renvoyons-nous tout  cela au seul qui l’est en plénitude : le Seigneur, Celui dont nous ne sommes que les serviteurs ?

EN GUISE DE CONCLUSION :

La question à nous poser ce soir : Sommes-nous des serviteurs ou des mercenaires de l’Évangile?  Avons-nous des intentions ″pures quand nous servons ? «Heureux les cœurs purs» (Mtt 5, 8). Les cœurs purs sont des coeurs qui n’ont d’autres intentions que de montrer Jésus, que d’imiter Jésus. Des cœurs purs sont des cœurs sans intentions secrètes, des cœurs ″entiers et sans double langage. Des cœurs transparents, sans prétentions. Ces cœurs sont habituellement joyeux. Rien ne peut les troubler car ils ont découvert que la seule façon de servir, c’est dans l’effacement.

Une telle personne qui respire Jésus dans sa manière d’être service, quand viendra la tempête ou lorsque des vents contraires s’élèveront, demeurera sereine. Elle ne manifestera aucune saute d’humeur envers les autres.  En terme psychologique, cette personne au ″service pur, est en ″bonne santé relationnelle dont la vitalité n’est pas remise en question quand s’élève opposition et contestation.  ″Bonne santé″ relationnelle parce qu’elle «voit Dieu» en toutes circonstances. «Heureux les cœurs purs», le texte ajoute, «ils verront Dieu». Quand viendra l’heure de la désolation, cette personne au «service pur» ne succombera pas à la tentation de tout laisser tomber.

Ma question finale : avons-nous des cœurs purs quand nous servons ou sommes-nous de ces mercenaires qui utilisent l’Évangile à leur profit ? «S’il en est ainsi (mercenaires), écrivait Catherine de Sienne, c’est que nous préférons le don au donateur, c’est que nous servons plus notre propre avantage que la suprême bonté de Dieu» (Catherine de Sienne, lettre 62).

N’oublions jamais que nous qui étions au service du mal, Dieu nous a adoptés pour nous rendre semblables à son Fils. Il nous a faits fils et filles de Dieu. Or le Fils n’a été (causerie de ce matin) que serviteur.  Il n’a été qu’effacement. Toute sa vie fut d’être «Agneau immolé».

«Toi qui étais serviteur, non pas de Dieu, mais serviteur du péché, serviteur des démons, tu as été adopté au titre de fils. Mais fils de qui ? Je le dis avec audace, je le dis avec confiance, je le dis avec joie : fils de Dieu ! "À tous ceux qui l’ont reçu, il a été donné de pouvoir devenir fils de Dieu". Veux-tu que je t’explique cela encore plus clairement ? Je le déclare de nouveau avec confiance et exultation : le Fils de Dieu s’est fait serviteur  de l’homme pour que tu deviennes serviteur de Dieu. » (JEAN DE PORTES : QUE RENDRAIS-JE AU SEIGNEUR ?)

Et je conclus en nous rappelant que nous sommes choisis et que nous le resterons malgré nos attitudes mensongères. Lui, le Seigneur, ne nous a pas choisis pour notre fidélité mais pour nous gratifier de sa miséricorde qu’Il nous offre maintenant dans ce pardon.

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Date: 
Mercredi, 1 avril, 2015

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