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LES RICHESSES DE LA PAUVRETÉ

rRETRAITE- THÈME: REVÊTIR JÉSUS

CAUSERIE #5  :  LES RICHESSES DE LA PAUVRETÉ 

INTRODUCTION :

Jésus est venu nous annoncer une bonne nouvelle. Mais cette « bonne nouvelle », en sommes-nous conscients,  est à l’inverse des valeurs de notre société. Nous sommes tellement attachés à ces « valeurs » (je les place entre guillemets) que de nous en détacher est tout un défit. Nous sommes attachés à des valeurs qui, aux yeux de l’Évangile, sont sans valeur pour le Royaume.  Ainsi nos yeux humains voient tout naturellement la richesse comme un bien, la pauvreté comme un « mal », du « moins bien ». Des yeux évangéliques perçoivent que c’est le contraire qui nous situe dans la vérité. La pauvreté est un bien et la richesse du « moins bien ».

La perspective de la pauvreté comme un bien, comme béatitude nous effraie. Richesse rime avec « sécurité ». Ce que nous recherchons en premier, c’est  la sécurité. Nous avons des « assurances » pour à peu près tout : assurance-vie, assurance-voyage, assurance-emploi, assurance-maison, assurance-auto, etc. Avant d’acheter un produit d’une certaine valeur, nous vérifions d’abord sa garantie. Nous voulons nous assurer d’un remboursement en cas d’insatisfaction.  Dans ce contexte, se reconnaître pauvre, c’est vivre vulnérable, sans assurance. « Insensés cette nuit tout cela te sera enlevé ». La pauvreté – même si nous en avons fait le vœu – nous risquons de la diluer. Nous la redoutons.

Si nous aspirons émettre des ondes évangéliques de grandes qualités,  il nous faut prendre un chemin imprenable, celui des richesses de la pauvreté.  « Bienheureux les pauvres de cœur (Mtt5, 3)». Tout quitter, nous détacher de tout, changer de vêtements pour s’enrichir, ce sont là des chemins imprenables. Des valeurs dont nous admirons la beauté intrinsèque chez les autres.

De tout temps et à toutes les époques de l’Histoire de la foi, nous avons dilués de toutes les manières possibles la richesse de la pauvreté ou cette pauvreté de cœur. Les Béatitudes forment un tout non dans un sens d’une évolution progressive qui comporterait sept étapes mais parce qu’elles font entendre une même mélodie, agrémentée de crescendos. Celui dont le cœur est pur (1ière béatitude)  est aussi celui dont le coeur est pauvre (2ième béatitude). Celui dont le cœur est pauvre a « faim de justice » (3ième béatitude). Celui qui a « faim de justice » est « artisan de paix » (5ième béatitude). Chaque béatitude converge vers le mystère de notre être profond. Nous sommes dans notre être profond, pauvre. « Qu’as-tu que tu n’aies reçu ? Et si tu l’as reçu, pourquoi t’enorgueillir comme si tu ne l’avais pas reçu (1 Cor 4,7) ? ».

NOTRE NATURE PROFONDE EST D’ÊTRE PAUVRE.

Le mot « pauvreté » est généralement entendu dans son sens matériel. L’expression vivre sous le seuil de la pauvreté, rime avec misère. Mais le mot dit tout de notre propre nature. Nous humains, sommes par nature pauvre. Pauvre parce que nous avons tout reçu (1Cor 4,7). Nous avons besoin du travail des autres pour nous nourrir. Le pauvre vit d’une dépendance quotidienne des autres. Nous existons par la grâce d’un autre.  Prendre conscience de cela n’est pas facile. Nous clamons tellement notre autonomie. Nous la recherchons aussi. Emmanuel Levinas écrit que " l'humilité est la pauvreté sont une façon de se tenir dans l'être… et non pas une condition sociale (Semaine des intellectuels catholiques,, Qui est Jésus, DDD 1966)

L’Évangile, bonne nouvelle, nous éveille à d’autres valeurs : celles de vivre en état de vulnérabilité, de fragilité, de rejet. Nous avons besoin des autres. C’est ça la pauvreté. Dans les mots de Gandhi, Jésus est venu supprimer la misère et cultiver la pauvreté. Savoir cela non en théorie mais dans le concret de nos journées. Dans l’Évangile, la pauvreté n’est pas le fruit d’une vie de péché comme cela était perçu dans l’Ancien Testament. La richesse n’est pas la consécration d’une vie juste. Elle nous est « naturelle ».  Guillaume de saint Thierry dans sa lettre au mont-Dieu, exprime que la pauvreté « correspond à la nature. Elle est naturelle » (#237).  De par notre nature, nous sommes solidairement pauvres. Avoir besoin des autres, c’est l’autre nom de la fraternité, de la mise en commun.

Si nous pouvions comprendre ce paradoxe : c’est notre pauvreté qui est une richesse. C’est bien ce qu’exprimait l’apôtre Paul aux Corinthiens « lorsque je suis faible, c’est alors que je suis fort (2  Cor 12,8-10)». Il s’agit ici de beaucoup plus que de la pauvreté matérielle. Paul parle d’une pauvreté intrinsèque à sa personne. Une pauvreté d’être. «  Ce qui est faible dans le monde, Dieu l’a choisi pour confondre ce qui est fort; ce qui dans le monde est méprisé, Dieu l’a choisi pour réduire à rien ce qui est afin qu’aucune créature ne puisse s’enorgueillir devant Dieu (1 Cor 1, 27-28) ». Il n’est pas facile de renoncer à notre autosuffisance, de renoncer à nos « droits » devant Dieu. Ce chemin, comme celui des autres béatitudes, n’est pas celui que spontanément nous désirons le plus. Ce chemin nous rend à « l’image et ressemblance de Dieu »

Notons que dans l’ancien Testament, être pauvre était perçu comme partie prenante du mystère du mal. D’où l’insistance de prendre soi de l’orphelin, des veuves pour les soulager de ce « mal ». Avec Jésus, le mot « pauvreté » a changé de sens. Il a louangé l’obole de la veuve dans le Temple. Elle a donné non du superflu mais son nécessaire.

Durant sa vie terrestre, Jésus a eu des paroles très dures contre les hypocrites. C’est agir en hypocrite que de cacher et de refuser de nous avouer ce qui nous est « naturelle », ce qui nous colle à la peau.  C’est un chemin qui nous rend semblable à Dieu.   

 NOTRE DIEU EST « PAUVRETÉ ».

Le mot dit tout du mystère de Dieu. Elle n’est pas seulement l’expression de ce que nous sommes, elle n’est pas seulement vertu, renoncement aux choses, elle est surtout un nom et un visage: Jésus Christ. (F Carballo ofm). La perfection de Dieu est « dépossession » (Zundel). Il n’a rien en propre.  La pauvreté est le mystère même de Dieu: une vie qui ne se possède pas et qui trouve sa gloire dans une divine communication. Un amour fort est un amour qui est absolument dépourvu de toute emprise et volonté de possession.

Parce que nous sommes humains, « charnel » dirait Jean de la Croix. Cela affecte nos perceptions de Dieu, nos imageries de Dieu. Nous le voyons tout-puissant, Roi de gloire, guerrier. Il ne nous vient jamais à l’esprit d’imaginer un Dieu pauvre, dépossédé de tout, vulnérable, descendu tellement bas que personne ne peut lui ravir sa place (Charles de Foucauld).  Et pourtant ce sont là les traits de notre Dieu. Une des raisons qui me font croire dit le Père  Pouget au Dieu des chrétiens, c’est que personne n’aurait pu envisager un tel Dieu, s’il ne nous l’avait pas été révélé.   Nous n’aurions jamais dessiné un Dieu pauvre, si nous l’avions fait à notre image. Nous l’aurions fabriqué selon nos esprits de grandeurs, de toute-puissance.  Si le message évangélique vient de Dieu, il est normal qu’il nous déroute, qu’il nous pousse sur un chemin que nous n’aurions jamais imaginé pouvoir franchir. Une religion qui ne serait que raisonnable, où rien ne nous arracherait à nos perspectives humaines, courantes, serait a priori suspecte. Dieu est Dieu et "ses pensées ne sont pas nos pensées". Ce qui est folie pour nous, peut être sagesse pour lui.  À bien y réfléchir, ces caractéristiques de notre Dieu, sont au service de l’Amour.

Pour saisir cela, il faut remonter à sa racine : la communion trinitaire. Au cœur de Dieu, il existe un tel échange que tout est absolument commun aux Trois et qu’aucune personne n’est plus riche que l’autre. Leur seule différence c’est que le Père garde sa relation de paternité, le Fils, celle de sa filiation et l’Esprit celle d’être « né » (l’expression est maladroite) du Père et du Fils. Le reste est à ce point partagé que le Père a tout donné à son Fils, que ce dernier à tout remis au Père et que l’Esprit ne fait que montrer le Père et le Fils.

Jésus nous a montré la richesse de la pauvreté de Dieu. Il s’en est fait la « porte ».  « Vous connaissez la générosité de Jésus qui de riche qu’il était, il s’est fait pauvre pour nous enrichir de sa pauvreté (2 Cor8, 9) ». Sa pauvreté est plus riche que nos richesses. L’appel à la pauvreté est le meilleur des biens que nous puissions recevoir. Accueillir.

Jésus a vécu en cohérence avec ce qu’il disait. « Le peuple l’écoutait avec plaisir » justement pour cette raison. Il était ce qu’il disait et disait ce qu’il était. Et quand il clame « heureux les pauvres », il exprimait ouvertement ce qu’il était.

En regard de sa pauvreté, nous songeons spontanément à sa naissance, dans un village obscur, dans une grotte. Il a travaillé de ses mains, n’a fait aucune étude. Il n’a pas mené ascétique comme Jean-Baptiste ni une vie misérable non plus. Il a tellement vécu comme les gens de son époque, qu’au moment de sa vie publique on « s’étonnait de son enseignement » Qui est-il pour parler ainsi ? Jésus malgré ses origines modestes, n’a jamais caché non plus sa vive conscience d’être dans le Père, de connaître le Père.

Mais cette vie modeste de Jésus, n’est que le reflet du mystère de Dieu. Au cœur de la trinité, il existe un tel échange, que tout est commun. Chaque personne n’a en propre que la désappropriation d’elle-même. Le Père est Père parce qu’il donne ce qu’il est à son Fils. Il n’a retenu pour lui-même, si je peux parler ainsi, que son être de Père. Le Fils non plus n’a rien retenu pour Lui, «  il n’a fait que la volonté du Père ». Il n’a rien gardé pour lui-même, sauf ici encore sa nature de Fils. Que dire de l’Esprit, qui se rapporte constamment au Père et au Fils. Quand il viendra, il vous enseignera tout ce que je vous ai dit ».

Le visage humain de Jésus comme sa naissance est révélation d’un Dieu pauvre. « Tout ce qui est à moi est à toi. Tout ce qui est à toi est à moi » (Jn17, 10). Jésus comme homme est ce qu’il est comme Dieu. Et Jésus est l’Image de son Père. « Qui m’a vu a vu le Père » (Jn14, 9) La pauvreté réelle du Fils est à l’image du Père. Un Dieu pauvre c’est dire autrement que Dieu est amour. C’est le propre de l’amour que de tout donner. Être en mode « aimer », c’est être en mode « pauvreté », don.

L’une des choses les plus étonnantes de l’évangile, c’est sans doute que Jésus a pris lui-même ce chemin. Lui, le Fils du Père, est dans sa personne, la réalisation de cette plénitude. L'homme veut s'élever, le Verbe s’est abaissé au point de ne pas être reconnu.  Il rayonna dans les ténèbres, mais les ténèbres se détournèrent de lui. Jésus a pris ce chemin simplement parce que c’était sa « nature » propre. Jésus a repoussé toute sa vie l’hypocrisie. S’aurait été hypocrite pour Jésus que d’être « riche ».

LA BEAUTÉ DE LA PAUVRETÉ

Quel éclat, quelle splendeur, quelle beauté, quelle richesse que celle d’être pauvre ! C’est la plus étonnante nouvelle de l’Évangile. "Bienheureux les pauvres". Pour ceux qui attendent de l’Évangile des maximes raisonnables ou rassurantes, il y a de quoi être amplement déconcerté et déçu..

Et au-dessus de tout ce que nous pouvons désirer et comprendre, Dieu  prépare à ceux qui croient en Lui et qui l’aiment : "Ce que l’œil n’a pas vu, ce que l’oreille n’a pas entendu, ce qui n’est pas monté au cœur de l’homme".

 Toutes les sagesses humaines et même les plus hautes n’avaient jamais cessé de proclamer le contraire. Pourquoi donner la première place aux derniers, pourquoi prétendre que les courtisanes précéderont les vertueux au Royaume de Dieu ? Quelle parole plus déraisonnable que d’affirmer : « heureux les pauvres » « Qui veut sauver sa vie la perdra, et qui perd sa vie à cause de moi la sauvera » ? et se nourrir de "toute parole qui sort de la bouche de Dieu".  Chaque parole de l’Écriture mène directement et verticalement dans les profondeurs de Dieu, C’est ce mets, et nul autre, qu’elle doit aujourd’hui goûter intérieurement, c’est de ce mets qu’elle doit tirer la joie et la force nécessaires pour le trajet qu’elle doit accomplir aujourd’hui jusqu’à la montagne de l’Horeb.

COMMENT S’APPAUVRIR ?

Le monde a besoin de rencontrer des hommes et des femmes qui sont de véritables icônes de cette riche beauté de la pauvreté. La pauvreté dont je parle n’est pas celle qui est subie par une réalité économique mais celle qui est choisie, volontaire, acceptée librement comme chemin pour suivre le Christ, lui ressembler, pour participer à son kénose, à son dépouillement.

« La pauvreté volontaire en vue de suivre le Christ, ce dont elle est signe particulièrement mis en valeur de nos jours, doit être pratiquée soigneusement par les religieux et même, au besoin s’exprimer sous des formes nouvelles. Par elle, on devient participant de la pauvreté du Christ, qui s’est fait indigent à cause de nous, alors qu’il était riche, afin de nous enrichir par son dépouillement (2co8, 9 ;Mtt 8,20; perfectae caritatis #13).

Vatican 11 dans sa constitution Lumen gentium (#44) affirme que « la profession des conseils évangéliques apparaît en conséquence comme un signe qui peut et doit exercer une influence efficace sur tous les membres de l’Église. »

Dans une société de consommation, polarisée par l’avoir et l’argent, une pauvreté volontaire, choisie, a une grande puissance de choc. Elle interpelle. Mais il faut aussi reconnaître que notre société, les gens qui nous entourent sont d’une extrême exigence en regard de notre manière d’en vivre.  Etre pauvre en réalité et en esprit  « que les religieux soient pauvres effectivement et en esprit, ayant leur trésor dans le ciel » (perfectae caritatis # 13)

Une question surgit, celle que posait Jacques Loew dans son livre : celui qu’on appelle Christ (p.32-36). Comment s’appauvrir ? Comment montrer que nous sommes de vrais disciples de Jésus ? Comment être cette Eglise «  servante et pauvre » ", pour reprendre cette belle expression de Vatican 11 dont on a sans doute trop usé et même abusé par la suite ? Et l’auteur suggère comme 1ière étape « d’imiter le pauvre dans ce qu’il a de plus essentiel, dans ce qui le caractérise en tant que pauvre ». Et le pauvre, ce qui le caractérise,  « c’est (quelqu’un) qui écoute toujours et que personne n’écoute ». Et nous savons combien est  pénible de ne pas nous sentir écouter.

La pauvreté, c’est l’attitude de celui, celle qui  accepte d’être finitude, de tout recevoir et de se recevoir d’un Autre qui l’appelle par son Nom. Quand nous cessons de tout centrer sur ce « moi-même », naît en nous les germes de la pauvreté. Le vrai pauvre est libéré du souci opprimant de soi-même.  C’est l’expérience d’un Paul proclamant : "C’est quand je suis faible qu’alors je suis fort". Le pauvre identifie que Dieu n’est pas au-dessus de ses limites mais qu’Il s’identifie à ses limites jusqu’à le choisir comme libérateur de son Peuple. « Va je t’envoie chez Pharaon » et Moise de répondre : « qui suis-je pour aller trouver Pharaon » (Ex 3, 10).  Nous dépouiller de tous ces personnages illusoires auxquels nous nous identifions, pour être simplement « limite ».  Inconsciemment dors en nous de la « toute-puissance ».

Pour un esprit raisonnable, tout cela est folie pure. Mais en prenant ce chemin, Jésus savait ce qu’il faisait. Il savait qu’ « il est presque impossible à un être humain de posséder des biens sans s'y subordonner et en devenir esclave. C'est pourquoi il a tout abandonné et nous a montré ainsi par son exemple plus encore que par ses paroles que seul possède tout celui qui ne possède rien. Sa naissance dans une étable et sa fuite en Egypte montrait déjà que le Fils de l'homme ne devait pas avoir d'endroit où reposer la tête. Qui veut le suivre doit savoir que nous n'avons pas ici-bas de demeure permanente. Plus vivement nous en prendrons conscience, plus ardemment nous tendrons vers notre demeure future et nous exulterons à la pensée que nous avons droit de cité au ciel  (Edith Stein) ».

Une spiritualité pour être dite chrétienne

CONCLUSION :

Comme l’exprime la parabole de Lazare et du pauvre (Lc16, 19-31) il n’y a pas de « mauvais » riche. Il n’y a pas de « bon » pauvre. Il n’y qu’un abîme entre la richesse qui nous séduit et la pauvreté qui nous repousse. La valeur profonde de chacun est dans ce qu’il est. Combien  se réfugient présentement sous les apparences de la richesse pour se faire croire qu’ils sont quelqu’un.

En terminant, posons-nous la question : pour quelle raison devrions-nous opter pour la richesse de la pauvreté ? Réponse : "Il s’est fait pauvre pour nous ». Cela mérite alors bien d’être payé de retour, surtout si l’on considère qui est celui qui a agi ainsi. Une autre raison : Dieu affirme que c’est un chemin de plénitude.   Dieu n’a pas besoin de nos richesses mais a besoin de nos pauvretés. C’est sa nourriture préférée. Princière, royale. le grand salaire de pauvreté : un palais éternel.

Autres: 
Date: 
Lundi, 1 juin, 2015

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